« Quand j’ai construit cette maison, j’ai pensé qu’il était important d’avoir un endroit isolé du reste du foyer. Quand vous avez une famille avec des enfants, vous avez besoin d’un endroit sans distractions. J’y ai mis tous mes objets préférées, pour stimuler mon humeur et créer une bonne atmosphère », annonce-t-il.
Il est vrai que dans cette antre singulière, pourtant jonchée de dessins, de coupures de journaux et de sculptures en tout genre, il règne un calme olympien. Une sérénité que dégage aussi le maître des lieux. Pour autant, à regarder le CV de Yazeed, on ne le penserait guère zen. « J’exerce trois professions en même temps, le même jour, admet-il. Le matin, je suis concepteur-rédacteur en agence, l’après-midi, je suis dessinateur, et le soir, je suis pharmacien ».
De ces trois occupations, il en est une que Yazeed al Harthi affectionne plus particulièrement. Elle constitue une partie inhérente de son identité, et est une passion qui a jailli de son être dès son plus jeune âge.
Des gribouillis sur les murs
« Quand mon père rentrait à la maison après le travail, à la fin d’une longue journée avec plusieurs journaux, je sautais dessus dès qu’il avait fini, pour couper la section des caricatures, raconte-t-il. J’ai commencé à imiter ces dessinateurs, en essayant de reproduire leurs oeuvres, en me concentrant sur leurs angles, comment ils dessinaient les yeux, le nez, la bouche, et comment ils écrivaient leurs commentaires ».
Il rit en se souvenant de ses premiers élans de créativité : « Je dessinais partout sur les murs, alors ma mère, après s’être énervée à plusieurs reprises, a décidé de me laisser une pièce où je pourrais dessiner librement. »
"Certains, quand ils sont enfants, veulent être médecins ou policiers. Moi… je voulais faire des caricatures au quotidien pour un journal."
Yazeed al Harthi
Les crayons de Yazeed ne l’ont plus quitté. Ils le suivent en salle de classe, où il fait des croquis de ses camarades, et même aux quatre coins du monde lorsqu’il part en voyage avec ses parents.
De Riyad à Montmartre
« Lors de mes visites à Paris, je restais à Montmartre à regarder les dessinateurs pour voir comment ils reproduisent les formes et les figures pour faire rire les gens, se souvient-il. C’est à ce moment que je me suis dit que je voulais devenir dessinateur. Certains, quand ils sont enfants, veulent être médecin ou policier. Moi… je voulais faire des caricatures au quotidien pour un journal ».
La voie à suivre pour devenir dessinateur est hélas tout sauf tracée. Au début des années 2000, Yazeed doit renoncer à faire des études supérieures d’art, le Royaume ne proposant, à l’époque, pas de cursus adéquat. Il choisit alors de s’orienter vers le domaine médical, influencé par sa famille de médecins. Il sera pharmacien et fera ses gammes à l’université du Roi Saoud.
Pas découragé pour un sou, Yazeed poursuit ses dessins en marge de ses heures sur les bancs de l’université. « C’était difficile, à l’époque nous n’avions pas de plateformes telles que les chaînes Youtube pour suivre les artistes afin d’apprendre ou de s’inspirer », regrette-t-il.
Yazeed parcourt consomme, à l’époque, des tonnes de papiers à dessin et use des milliers de crayons de plomb, si bien qu’il se fait remarquer par un journal en création, Al Watan. Il y décrochera son premier emploi de caricaturiste, avant même de décrocher son diplôme de pharmacien.
Dessinateur et créatif
Une fois son diplôme en poche, Yazeed est déjà une figure du dessin de presse en Arabie saoudite. Son coup de crayon et son regard aiguisé sur la société saoudienne et arabe le plongent, par un heureux hasard, dans l’univers de la communication. « À cette époque, je ne connaissais monde de la publicité », admet-il. C’est en participant à un atelier pour présenter son travail qu’il se voit proposer un poste de concepteur rédacteur pour agence de communication américaine disposant d’une antenne saoudienne.
"La situation a changé pour le mieux en Arabie saoudite."
Yazeed al Harthi
Depuis 2009 donc, l’homme a trois casquettes : le matin, il est communicant en agence, travaillant sur des campagnes publicitaires diffusées aux quatre coins du monde, l’après-midi, il est dessinateur de presse, le soir venu, il reprend les rênes de sa pharmacie…
Une opportunité à saisir
Mais c’est bien le dessin qu’il chérit le plus. Plus qu’un passe-temps ou même un job, la discipline est, à ses yeux, un important outil d’expression pour une société toujours plus émancipée.
« La situation a changé pour le mieux en Arabie saoudite, se réjouit-il. Avant, nous avions beaucoup de lignes rouges que nous ne pouvions pas franchir, mais aujourd’hui, nous sommes libres de dessiner toutes les caricatures que nous voulons. Aujourd’hui, nous avons aussi des organisations qui facilitent le processus d’exposition de nos travaux. La nouvelle génération et moi-même avons la possibilité de publier notre travail et de montrer au monde notre art ».