Dans les coulisses, la propriétaire s’active entre la préparation des commandes de macarons qui, elles, n’attendent pas, et l’élaboration du menu de son nouveau restaurant. « C’est une sorte de restaurant de petit-déjeuner et marché de producteurs qui dure toute la journée », explique Mayada. Le concept est plutôt nouveau dans l’univers de la restauration à Djeddah, garni de brasseries, fast-foods et restaurants gastronomiques. Dans son ébauche de carte, on peut lire des mets que l’on retrouverait aisément au menu de brunchs parisiens ou new-yorkais avec, forcément, une petite touche locale : toasts d’avocats, edamame, copeaux de parmesan et safran, salade de betterave et feta assaisonnée au cumin… Les breuvages aussi se prévalent de sympathiques « twists » : café frappé à la pistache, latte à la lavande… Bref, le Black Cardamom se veut dans l’ère du temps, dans son atmosphère comme dans les assiettes.
Le restaurant Black Cardamom, quelques jours avant son ouverture
Il se veut aussi responsable. « Nous essayons de nous fournir auprès d’agriculteurs locaux et de leur demander de cultiver certains ingrédients dont nous avons besoin », ajoute Mayada. Le chef ne veut pas d’intermédiaire. Elle démarche directement ses producteurs qu’elle veut, par ailleurs, mettre en valeur : « Nous accueillerons aussi un marché d’agriculteurs le samedi ou le vendredi, pour que les clients leur parlent, apprennent quels produits sont saisonniers ou non et, plus généralement, pour créer cette conversation. »
Un passage chez La Durée
Cette culture du « produit en circuit court » est peu commune chez les restaurateurs saoudiens. Il faut dire que Mayada n’a pas fait ses gammes au royaume. Née à la Mecque, le chef Badr est l’une des rares toquées saoudiennes à avoir fait ses études culinaires en France, aux côtés des plus grands de la discipline. Pourtant, rien ne prédestinait cette trentenaire aux fourneaux. « J’ai étudié la gestion du design à la Barcelona School of Design et j’ai travaillé à Dubaï pendant un certain temps dans la planification et les achats publicitaires », raconte Mayada. Après trois années en poste, la Saoudienne commence à ronger son frein.
"J’ai réalisé que je n’étais pas épanouie, professionnellement. Je ne produisais rien avec mes mains. Je rentrais toujours à la maison pour cuisiner quelque chose et ramener cela avec moi au bureau pour voir la réaction de mes collègues. Ils étaient reconnaissants, ils aimaient. J’ai alors décidé d’ouvrir un restaurant."
Mayada Badr
Direction l’Hexagone donc et l’école Le Cordon Bleu pour une formation diplômante en arts culinaires et pâtisserie ponctuée de passages dans les cuisines de La Durée et celles de La Bastide Saint-Antoine à Grasse. « Ça m’a beaucoup aidé, insiste Mayada. Cela m’a rendue humble. On apprend beaucoup de choses. On fait tout. On nettoie tout. C’est une expérience incroyable, mais ce n’était pas facile. C’était très difficile, mais à la fin de la journée, on a l’impression d’avoir fait quelque chose, que l’on n’est pas simplement resté assis à un bureau à taper sur un clavier. »
Des macarons à Djeddah
De retour au pays, à Djeddah, le chef Badr ouvre une pâtisserie – Pink Camel, donc – et fait du macaron son produit signature. Un clin d’oeil à l’Hexagone, diriez-vous ? Pas vraiment : « Nous avons trouvé une opportunité dans le marché et c’est quelque chose que je voulais manger, presque tous les jours. » Toujours est-il que la Saoudienne a durablement installé le petit gâteau à l’amande français dans le paysage local. Et cela n’a pas été sans peine.
"Il a fallu apprendre au gens ce qu’est un macaron, de quoi il est fait. Les gens ne pouvaient pas vraiment dire le bon nom. Mais à présent, j’ai l’impression qu’ils le font. Beaucoup de gens connaissent les macarons, mais au début ce n’était le cas. Certains l’appelaient « le biscuit français »."
Mayada Badr
Depuis les premiers macarons de Pink Camel, Mayada a fait du chemin. En tant que traiteur, et consultante en restauration notamment. « Nous avons pris part à plusieurs événements gouvernementaux et cela nous a permis de mieux nous faire connaître. Nous avons également travaillé pour la Commission royale pour AlUla au Louvre, à Paris. C’était un très bon dîner de gala. », se remémore-t-elle. Ces passages sous les projecteurs ont également eu leur lot de frustrations. « Quand vous êtes chef saoudien et que vous venez d’Arabie saoudite, qui n’est pas connue pour sa cuisine, et que vous consultez, allez en France ou en Italie, et parlez à ces chefs qui y ont travaillé toute leur vie, ils vous regardent et vous disent : ‘Que savez-vous ? Vous êtes un chef saoudien’. Ils ne connaissent rien à la cuisine saoudienne. Ils ne connaissent pas nos saveurs », souffle-t-elle. Un manque de considération qui peut parfois friser le dédain : « Ils me disaient : ‘Oh, on a quelques mets, tu peux juste saupoudrer de la cardamome ou des pistaches par-dessus ça devrait aller.' »
Le chef Mayada Badr et l’ancien ambassadeur saoudien à Paris Khalid Al Ankary
Trop peu pour faire vaciller la trentenaire, résolument pleine de ressources, surtout lorsqu’il s’agit de faire découvrir son terroir. « Je leur disais : ‘Non, ce sont de vraies recettes et nous allons faire ceci et cela et nous allons changer ceci et obtenir des ingrédients pour cela.’ Puis je le leur faisais goûter et voyais comment leurs expressions changeaient : ‘Oh, c’est différent. Oh, je n’ai jamais essayé ça. Oh, c’est sympa' », mime-t-elle.
Si le chef Badr doit s’employer pour se faire une place et en faire une à la l’Arabie saoudite dans le monde de la gastronomie, ce n’est pas un hasard. La cuisine saoudienne et, par extension, celle du Golfe, n’ont pas pignon sur rue en Occident, même si elles sont peu avares en saveurs et techniques singulières.
"Il est très difficile de trouver des recettes et des plats saoudiens bien documentés. Chaque maison a une recette différente et il était très difficile d’essayer de la documenter dans le passé. J’ai l’impression que c’est quelque chose sur lequel le gouvernement doit travailler, nous devons documenter toutes les recettes, toutes nos traditions, pourquoi nous cuisinions de cette façon, les différentes techniques que nous avions."
Mayada Badr
En attendant de voir rayonner un jour la cuisine saoudienne, Mayada Badr poursuit ses collaborations à l’étranger, lors de dîners ou cocktails mondains, en proposant, à chaque opportunité, un aperçu de ses saveurs. Pour elle, la cuisine reste sans doute le meilleur ambassadeur du royaume. Elle l’assure : « La cuisine est une langue. C’est comme partager notre langue avec eux et leur montrer qu’on a plus d’ingrédients que de la rose et de la cardamome. »